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Marche ou rêve

Depuis son accident, cela m’amuse de voir les journalistes parler de Sylvain Tesson, sous la simple étiquette d’auteur de Dans les forêts de Sibérie. Comme s’il n’y avait de gloire que par le truchement du prix Médicis essai (4 novembre 2011) pour le récit immobile d’un amateur de vodka.

Enfin la sympathie ne s’explique pas … la mienne est bien emprunte d’une ‘fraternité du sourire à plat‘ … et accessoirement de découverte de pays à pas d’homme !

Ses qualités littéraires et son goût pour les aphorismes lui ont ouvert le jeu des plateaux de télé qui le font connaitre aujourd’hui du grand public et tant mieux puisque cela finance ainsi encore mieux ses expéditions …

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Sylvain Tesson -Photo : C. Hélie / Gallimard

Au delà de sa passion des grands espaces et son esprit vif, il maitrise les codes médiatiques … Vous remarquerez d’ailleurs qu’il a trouvé l’angle photogénique et soigne de plus en plus son apparence d’aviateur 1940′, portant au moins l’un des accessoires : blouson de cuir, gapette ou écharpe en soie coton

A remonter dans le passé, j’avais en tête un papier de Luc Le Vaillant datant de presque 9 ans, intitulé Marche ou Rêve, où au delà des facéties ou libertés (selon le point de vue) qui le caractérisent est abordée l’aura engagée de sa mère, Marie-Claude Tesson-Millet, qui s’est éteinte dans la nuit du 6 au 7 mai, cette année.
Son creuset amorce en moi une certaine réflexion.

Que le rétablissement te guète voyageur …

Portrait

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Marche ou rêve, par Luc Le Vaillant
Libération.fr, 29-09-2005

Il est rentré la veille. L’électricité est coupée, il a oublié de payer sa facture. Sylvain Tesson était en Turquie, il s’initiait à la voile. Il est plus que temps, il a déjà programmé une traversée en solitaire. Sur le bar, un buste de Lénine monte la garde, histoire de faire bisquer ses amis slaves. En rayonnage, des livres de voyage voisinent avec les classiques. Des chemises sèchent sur une corde d’escalade et des bottes de moto encombrent l’escalier de son petit duplex. Il loge au coeur de Saint-Germain-des-Prés, mais rue des Quatre-Vents et sous les toits, en oiseau de jour, toujours prêt à monter là-haut par l’escalier de secours voir si Paris est plus beau et à rentrer par la fenêtre, le photographe sur ses talons.

Sylvain Tesson est un aventurier aux semelles crottées et aux poches correctement remplies car il a le savoir-faire des allongeurs de foulée doublé du faire savoir des médiateurs. Il a fait le tour du monde à vélo, l’Himalaya à pied, l’Asie à cheval, et a suivi la piste des évadés du goulag, de Sibérie en Inde. Il prépare un périple celte, de Galice en Ecosse, pour redécouvrir korrigans et lutins. Sinon, il a beaucoup aimé escalader les flèches des cathédrales et les pilastres des monuments. Il se sent frère des «hobos, beatniks, ermites des taïgas, trappeurs, coureurs des bois, vagabonds, moines-mendiants, errants, loups des steppes et autres wanderers». S’il part, dit-il, c’est pour échapper au renoncement des enfermés et surtout pour «arrêter le temps» en intensifiant chaque instant. Et de préciser que «le nomade change le sable du sablier en poudre d’escampette». Pour financer ses expéditions, il donne des conférences, réalise des documentaires et publie des récits de voyage. Dernièrement, l’élève des bons pères, aux phrases ouvragées et aux références stylées, s’est livré à une jubilante méditation sur la meilleure façon de marcher. Cela s’intitule Petit Traité sur l’immensité du monde et cela donne envie de mettre un pas devant l’autre et puis de recommencer.

Au coeur de la galaxie Pataugas et gros mollets, la course à la performance voisine avec des projets plus paisibles. Il y a les irréductibles comme Mike Horn, l’ex-commando sud-africain, qui est passé du tour du monde par l’équateur à une pérégrination autour du cercle polaire. Il y a les évolutifs comme Jean-Louis Etienne, le pédagogue à l’accent du Tarn, qui commença par la conquête des pôles avant de tenter un séjour scientifique sur une île déserte. Et il y a les expérimentateurs comme Nicolas Vannier, qui cousine avec le monde animal via les chiens de traîneau et part hiverner avec femme et bébé dans le Grand Nord. Sylvain Tesson, qui chevauche ses envies et rêve de cabane au fond des bois, est plus proche de cette dernière sous-section. Il y ajoute le symbole historique et la préoccupation géopolitique.

Donc, la Russie, le goulag, etc. Quand on réalise que Sylvain est le fils de Philippe, patron du Quotidien de Paris et journaliste de droite revendiqué, on a vite fait de suspecter un tropisme anticommuniste chez le jeune homme qui collabore au Figaro-Magazine. C’est aller vite en besogne. Cela vient plutôt de l’étude du russe en première langue, d’un séjour dans le Moscou en ébullition de 1991, et surtout d’une fascination pour l’âme slave. Il dit : «C’est leur rapport à l’excès, à la folie, qui m’intéresse. Le neutre m’ennuie.» Et avec cet art de la citation qui semble venir d’un autre temps, il convoque madame de Staël qui affirmait : «Les Russes n’atteignent jamais leur but. Car ils le dépassent.» Esprit vif et agile, Tesson s’empresse de relativiser la portée politique de sa démarche. Il dit que l’époque du goulag est loin, qu’il est faux de comparer Hitler et Staline. Il préfère célébrer la beauté des évasions, la reconquête de la liberté. Mais, vite, remontent des bribes d’atavisme mêlées de grumeaux générationnels. Il célèbre l’individualisme, colle au mur idéologie et sens collectif. Au dernier référendum, cet arpenteur de la planète aurait choisi le oui, mais il était en vadrouille et, de toute façon, il n’a pas de carte d’électeur. Ce géographe de formation s’intéresse aux enjeux internationaux, à la crise de l’énergie, à la gestion des ressources, mais il se fiche des querelles intérieures. Et de balancer : «Là, je ressemble aux gens de mon âge. Tout le monde s’en fout. Mais est-ce vraiment de notre faute ?» Et pourquoi pas ?

La passion du lointain lui est venue pas à pas. A la maison, c’était plutôt culture que nature. Il dit : «Mon père m’a toujours laissé libre même s’il était un peu inquiet de mes voyages.» La baroudeuse de la famille serait plutôt sa mère. L’ex-responsable du Quotidien du médecin court la planète pour son ONG et a même sauté en parachute. Sylvain, lui, est venu à la montagne par l’ascension des clochers. Fraude d’irrégulier, risque très urbain. Au coin de la rue, l’aventure. Celui qu’on surnommait le «Prince des chats» enfilait ses chaussons d’escalade et ouvrait la voie. Et cela faisait des moments incandescents où se mêlaient le sport et l’art, avec toujours ce sentiment de planer au-dessus des préoccupations du commun des mortels. Tesson adore enjamber les époques comme braver les précipices. Il n’a jamais fait la chute finale, ni rencontré l’ours fatal. Celui qui perche souvent son hamac au sommet des arbres, dit : «Je suis souvent tombé. Mais je me suis toujours raccroché à la gouttière. Je dois être né sous une bonne étoile.»

A la proue des vaisseaux de pierre, il pouvait admirer le travail des compagnons. Et les célébrer ainsi : «Ils avaient réussi ce que nous poursuivions : s’extraire de la marche du monde, contempler le siècle en se tenant loin de la rumeur, tendre vers l’excellence, côtoyer l’universel en s’adonnant à l’anecdotique, le tout dans la compagnie de la beauté.» Car l’homme peut bien maîtriser tous les codes de la modernité, il y a chez lui comme chez tous ceux qui quittent la ville un besoin de solitude et un risque de misanthropie. Il écrit : «J’ai découvert (si tard) combien un homme seul est en bonne compagnie.» Il voyage de plus en plus en solo. Et cet admirateur des romantiques allemands d’affirmer : «Avec les femmes, Venise oui, la steppe non.» Il a ses amours, mais ne veut pas d’enfant. Il dit : «J’en ferai quand il n’y aura plus d’embouteillages porte d’Orléans.» Dans ce refus se mélangent deux registres. 1) La mélancolie de l’explorateur du grand dehors devant la terre mise à mal, de l’hyperactif qui s’inquiète des saignées vertes : «J’ai un rapport charnel à la nature. Je crois aux fées, aux lutins. Je crois qu’il y a une vie dans les minéraux.» 2) La jouissance du grand gamin éternel. Il dit : «J’ai une vie de gosse avec des moyens d’adulte.» Certains se veulent gabiers dans leur nid de pie ? Lui sommeille dans les «houppiers» au sommet de la canopée. Certains s’imaginent héros de Jack London ou continuateurs de Thoreau ? Lui aura sa cabane de rondins à la marge de la civilisation. Certains se croient tout droit sortis d’un film de Kusturica ? Il fait du side-car sur le lac Baïkal gelé, descendant du bordeaux glacé, et croisant sans dommages, en dérapage peu contrôlé, des pilotes tout aussi ivres.

Published inAu fil des jours...LivrePortraitVoyages

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