… éclatent à date fixe.
En voilà une.
Tous les 4 ans, le Vendée Globe revient comme un inquisiteur pour me demander : « Qu’as-tu fait de ton talent ? Qu’as-tu fait de ce qui est vivant en toi ? Qu’as-tu fait de ce qui t’anime ? Es-tu plus heureuse qu’il y a 4 ans, sans le vent dans les voiles ? Que comptes-tu faire durant les 4 prochaines années pour te rapprocher de ce qui a toujours compté pour toi ? »
Je me tenais donc bien soigneusement à distance … quand en moins de 24 heures, j’ai absorbé plusieurs mois de préparatifs du Vendée Globe. Je me suis informée sur les choix techniques de la flotte, les skippers, l’organisation. J’ai même lancé un bateau dans Virtual Regatta. C’est dire !
Et la bulle a bien évidemment éclatée ! Comme une gosse, j'étais déchirée en voyant les IMOCA passer la ligne de départ. Une lame de fond venant de l'intérieur m'interrogeait très sérieusement sur mes choix de vie.
La première fois où j’ai été en vrac de cette façon, deux de mes sphères s’étaient rencontrées. A l’époque j’ai chialé pendant 24 heures non-stop sans vraiment comprendre ce qui m’arrivait.
Et je ne compte plus les occasions voileuses où ce type d’effusion m’est tombée dessus : un docu à propos de Florence Arthaud , un magasine de familles autour du monde, une vidéo YouTube, un ciel d’automne, une chanson, un coup de mélancolie … pour celles qui sont à disposition sur ce blog.
Je me demande quand. Quand vais-je comprendre ? Quand vais-je enfin passer à l’action ?
Tous mes nœuds de vie, ces carrefours où l’on fait des choix majeurs pour son avenir ont été pour moi liés à la voile, d’une manière ou d’une autre. Et à chaque fois, j’ai finalement tourné le dos à la mer.
Quand j'y pense je ne suis jamais plus en harmonie que sur l'eau, sur un surf, en cata ou en habitable. A chaque fois que je remets les pieds en mer, c'est mécanique, une bouffée de plénitude me réanime.
Et pourtant, à chaque fois regonflée, je repars en apnée dans l’autre monde. Bien sagement, je renfile le costume des terriens.
Ça a commencé quand j’avais une dizaine d’années. Alors que ma première monitrice essayait de convaincre ma mère de me faire pratiquer la voile à l’année. J’avais du talent disait-elle. Mais on ne bouleverse pas la vie d’une famille entière pour que la petite dernière fasse prospérer un si frais et inconnu talent quand on habite à 800 bornes de l’océan.
Malgré tout, n’y connaissant pourtant pas grand chose, mes parents m’ont permis de naviguer avec passion tous les étés, jusqu’à ce qu’un moniteur me dise que maintenant il n’y avait plus que le cursus de monitorat pour progresser plus loin.
Finalement j’ai fini par trouver un lac pour naviguer à 1h20 de chez mes parents. Sauf qu’à 17 ans, quand les études supérieures ont frappé à ma porte, il a fallu choisir entre la compétition en dériveur et la prépa d’école d’ingé.
Le raisonnable a pris le pas sur le reste. Pensant qu’une fois à l’aise, j’aurais tout le loisir de naviguer, j’ai laissé le contrat sur la table. Fini l’espoir de faire briller les couleurs du club en régates.
Malgré tout, je suis devenue monitrice de voile légère aux Sables d’Olonne. Une précieuse expérience qui a affirmé ma personnalité et m’a aussi appris l’humilité face aux éléments. Une école de la vie, impactante et précieuse.
Bon ok, mais pourquoi le Vendée Globe me remue-t-il autant ?
Parce qu’en 1996, je faisais parti de l’équipe de sécurité sur l’eau pour accompagner la sortie du port des participants et préserver les bateaux au départ. Une implication forte et prometteuse qui est pourtant restée sans suite.
J’ai protégé mon job d’été favori entre mer et plage, jusqu’à ce que les stages du cursus d’ingé grignotent mes étés. Joueuse, j’ai réussi à sauver mon dernier été en faisant passer mon boulot de moniteur pour un stage ouvrier de réparation de bateau. Rapport et soutenance compris, l’école d’ingé n’y a vu que du feu !
Après être revenue à plein temps dans le monde des terriens, pendant de nombreuses années, sans raison apparente, je ne pouvais pas mettre le pied dans une école de voile sans que mon cœur se mette à battre anarchiquement.
Un mélange d'excitation et de regret éclatait littéralement en moi chaque fois que j'entendais le cliquetis des drisses sur les mâts. J'avais l'impression d'être une imposture puisque "Quand on a une passion, on la pratique!". Ça faisait tellement mal, que je ne suis plus allée sur l'eau pendant des années.
Ce n’est qu’à l’autre bout de la planète que je me suis réconciliée avec le vent dans les voiles. Voyage de toutes les explorations, y compris intérieures, l’Australie m’a adoptée sur un bout de plage pour me rendre le goût des régates. La voile m’a permis là-bas de rencontrer des gens merveilleux. Elle m’a aussi fait gouter aux petits quillards.
Quand il a fallu revenir en Europe pour finaliser mon diplôme, j’ai à nouveau cédé à l’appel de la mer. Alors que j’étais sensée chercher un boulot, j’ai pris quelques mois pour passer mon permis hauturier en candidat libre et vivre l’aventure Glénans en habitable. J’ai rarement été aussi heureuse. Le moniteur du bord m’encouragea à passer le monitorat habitable aux Glénans.
Sauf qu’à l’époque ‘le plus important’ était de prendre mon indépendance financière. Alors, je suis gentillement allée m’enterrée à Gotham City pour mon premier job d’ingénieur.
En toute honnêteté, je n’avais pas choisi ma spécialisation au hasard : les composites. Etudiante, j’avais même le rêve fou de me faire embaucher dans un team de voile pour la construction d’un bateau de course. Mais pas introduite dans le sérail, je n’ai reçu que des réponses négatives. Peut-être commençais-je aussi à ne plus vraiment y croire alors qu’il aurait fallu débarquer en personne dans les ateliers ou revenir au monde de la régate.
Le quotidien a fait son œuvre. Pensant que la clef était dans l’adrénaline, j’ai élargi ma sensibilité aux sports de l’air en passant mon brevet de pilote parapente. Et puis Petit Ginkgo a pris une place énorme dans ma vie parce que je ne me donne jamais à moitié.
Quand Petit Ginkgo a eu un an et demi, de façon très inattendue un pote m’a proposé de naviguer en habitable en Méditerranée. Et pendant quelques années, j’ai chéri le bonheur de barrer au petit matin alors que le soleil se lève et que les dauphins accompagnent l’étrave du voilier.
Les séjours sur l'eau et les navigations commencent à se mélanger dans ma tête, après bientôt une décennie. Mais je comprends aujourd'hui que mon aspiration profonde était alors en train de cristalliser malgré les distractions qui m'ont beaucoup égarées. "C’est à la fois l’évidence que je cherchais et celle que je redoutais." A en croire cette conclusion d'article, j'avais tout compris ... alors que l'essentiel m'échappait !
Et puis, tout a changé. De l’indifférence, une dépression, Petit Biloba, beaucoup d’études … et la perte de mon indépendance.
Autant d’années remuantes résumées en une si petite phrase ?!
A la fin de cette période, je me suis aussi rendue à l’évidence : pour plein de raisons expliquées à l’époque, je n’emmènerai pas ma famille naviguer autour du monde de la façon dont je l’imaginais bien des années plus tôt. Faire face à la réalité que je ne voulais pas voir fut un déchirement intérieur, finalement salutaire pour refondre le projet.
J’ai longtemps cru qu’il ne s’agissait que de voyage, que de faire vivre le monde à mes enfants plutôt que de le découvrir sur le banc de l’école ou à travers le prisme de la télévision.
Alors j’ai imaginé une autre manière de voyager : lentement, seule en charge, 3 mois par 3 mois. Même si je crois encore à cette possibilité là, il me semble que la voile offrait une valeur toute particulière à ce projet.
En toute honnêteté, j'ai laissé les circonstances décider pour moi. Je n'ai pas toujours été raisonnable mais en ce qui concerne les choix de vie, j'ai imaginé que la voie du milieu résoudrait pour le mieux la plupart des situations. Ce qui fonctionne au global mais crée des dégâts collatéraux quand en réalité on n'aime guère la tiédeur.
En me connaissant mieux et même si je suis passée par la case ‘mère au foyer’ pour le bien de mes enfants, je ne suis décidément pas quelqu’un qui s’épanouit dans la routine quelle qu’elle soit.
Je peux me plier à une vie bien rangée quelques années pour atteindre un but précis mais c’est au détriment de ma force vive ; je perds petit à petit ma joie, ma santé, mon aptitude à penser en dehors de la boite.
Je ne regrette cependant pas mes choix car ils étaient portés par des valeurs plus importantes sur le moment que mon rapport à la mer.
Certes, peut-être y avait-il d’autres moyens de concilier l’action et le soin à ma famille … je suis passée à côté, happée par le quotidien et le désenchantement des culs de plomb !
A bien y réfléchir, les préjugés se sont envolés en Australie, puis j'ai fait exploser de nombreux 'prêts à penser' de mon éducation à l'arrivée de Petit Ginkgo mais je crois que je n'étais tout simplement pas encore assez avancée pour me défaire de conditionnements encore plus profonds quand notre équilibre a volé en éclats à l'arrivée de Petit Biloba.
Maintenant que l’intensité et les complications liées aux particularités de mes enfants semblent s’apaiser pour de bon, je me retrouve avec une vision plus affûtée de ce qui me correspond et je peux à nouveau penser à ce qui est bon pour Môa.
J’ai toujours plus ou moins navigué avec mes enfants. Maintenant, ils sont assez grands pour savoir si la voile leur plait vraiment, personnellement.
Et nous revoilà dans le monde merveilleux de la voile légère. Cette fois, j’endosse le rôle du parent qui dépose ses mômes en stage. Quelle étrange impression de voir, de faire, ce que mes parents ont fait pour moi !
A la différence que mes enfants et moi partageons aussi ensemble des moments en mer. Et puis, j’aime aussi naviguer rien que pour moi, m’éclater tout particulièrement en sur-puissance. C’est à dire dans des conditions peu recherchées habituellement par les plaisanciers de l’été.
L'alerte que je ressens depuis quelques jours n'est pas la première de l'année ... Je l'ai déjà ressenti cet été, très contrariée que l'on m'ait empêchée de naviguer par frilosité conceptuelle de l'école de voile alors qu'il ne me manquait aucune compétence. L'histoire n'était évidemment pas personnelle.
Non, mon ego ne prend pas toute la place, j’ai bien vérifié ! Et je vous conterai une autre fois cet épisode, si ça vous chante.
Pour l’heure, imaginez quelle place prend la possibilité de naviguer si 4 heures de navigation manquées réussissent à me mettre hors de moi. Cela signifie que je navigue trop rarement pour placer ces circonstances en perte et profit.
J’avais l’impression que l’on me déniait le droit de respirer !
Ok, vous pouvez penser que la pauvre petite bobo est bien loin des vraies misères du monde. Mais nier son propre élan nourrit-il ou protège-t-il plus des injustices le reste de la planète ?
Alors quand ? Quand vais-je comprendre que la mer coule dans mes veines et que quoique je fasse m’en tenir éloignée m’assèche inexorablement ?
Aujourd’hui, j’ai compris que se lever chaque matin pour une journée vibrante est plus important qu’un plan de carrière. J’ai aussi saisi que quand les parents sont heureux, il y a de grandes chances pour que les enfants soient heureux. J’ai acté que transmettre aux enfants des valeurs passe bien plus par l’exemple que par la parole. Alors, je dépose conditionnement et croyances. Au feu vieux oripeaux qui n’ont rien avoir avec moi.
Aujourd’hui, j’ai un plan, une vraie motivation viscérale à réussir mon entreprenariat pour me libérer du temps et de l’argent !
Silence les sceptiques, il existe des entrepreneurs qui n’échangent pas leur temps contre de l’argent.
En parallèle du décollage de mon activité professionnelle, j’ai décidé de revenir à l’habitable pour aller chercher les compétences manquantes à mon aptitude de chef de bord. Prendre les choses en main, en se donnant les moyens de ses ambitions.
Et s’il n’est question que d’aligner mes valeurs, mes pensées, mes émotions et mes actions, alors ce sera déjà ça.
Dans un deuxième temps, je vais tout faire pour que mon activité, exploitable de n’importe où (c’est important !) me rapporte suffisamment d’argent pour naviguer le plus possible, en équipière, seule, en famille (s’ils le veulent) ou entre amis.
Le projet ne repose maintenant plus que sur moi. Dans ces conditions simplifiées, je sais faire. Je l’ai déjà fait d’ailleurs !
La manière la plus efficace d’ouvrir les yeux de ses enfants sur le monde n’est-il pas de les inspirer par nos propres actions, de leur donner l’exemple d’une vie riche, choisie et épanouissante ?
ET c’est reparti pour un tour !
Désolée Christophe, ton commentaire est resté bloqué.
En toute vérité, je pensais n’avoir plus que des promeneurs, mais il y a encore quelques fidèles lecteurs.
50 ans de courses transatlantiques – rien que la bande son me fait frissonner !
Merci
Le Vendée rentre au port. Je suis en admiration devant ces hommes et ces femmes.
Au plaisir de naviguer.
Cap’s
Ha les désirs de partir quand on est ado, abreuvés des romans de Moitessier, le Toumelin, Janichon, Vito Dumas, Slocum … les années tassent ce désir tapis dans le fond de la mémoire et il en faut peu pour que cela surnage.
Un peu de redécouverte de cette épopée des années passés https://vimeo.com/213075436
Sur Virtual Regatta : ofthestreet, on se croisera peut être au Kerguelen où certains ont vécu un an (personnage étonnant ce Christophe Houdaille dont je te recommande le livre plein de plaisir de la solitude : https://www.transboreal.fr/librairie.php?code=TRASIKER)