Après Barcelonnette … jusqu’au XIX ème siècle, voici contée l’histoire de nombre d’Ubayens depuis le XIX ème siècle !
Prologue :
La vallée de l’Ubaye et ses longs et rudes hivers avaient de tout temps obligé une partie de la population à diversifier leurs activités, en allant s’employer ailleurs durant la moitié de l’année. Pendant que les uns restaient à tisser laine et chanvre ou à filer la soie, les autres s’expatriaient, comme ouvriers agricoles, bergers transhumants et précepteurs. La fabrication de vêtements de laine et de fils de soie dans la vallée poussa les plus aventureux à devenir colporteurs. Pendant leur enfance, une solide scolarisation et les récits des aînés les avaient armés pour les voyages… Certains allaient sur Lyon ou la Bourgogne, d’autres jusque dans les pays Rhénans. Après les Flandres dès le 17 ème siècle, la mer des Caraïbes approchée au 18ème, le Mexique, libéré de la tutelle espagnole, devient pour eux une nouvelle terre de colportage où ils vont exercer leur double savoir-faire commercial et technique, en particulier dans les métiers de la laine et de la soie.
L’installation 1812-1870 :
En 1814, Joseph-Antoine Coutollenc part à 18 ans pour le nouveau monde et s’installe au Mexique.
En 1821, les Frères Arnaud de Jausiers ferment leur filature et décident d’aller tenter fortune au Mexique. Ils ouvrent un magasin de tissus et nouveautés à Mexico, « EL CAJON DE ROPA DE LAS SIETE PUERTAS », après un détour en Louisiane où leurs descendants fonderont Arnaudville (6.000 habitants aujourd’hui, jumelée avec Jausiers).
Comme les affaires marchent bien, ils font venir vers 1830 trois de leurs anciens employés nommés Caire, Jauffred et Teissier pour les aider.
En 1845, Caire et Jauffred reviennent au pays à la tête de 250.000 francs/or chacun. Cette somme mirobolante qui « hanta dès lors toutes les imaginations » déclenche une vague d’immigration qui touche non seulement la vallée de l’Ubaye, mais aussi les Alpes-de-Haute-Provence et les Hautes-Alpes.
Pendant ce temps, à Barcelonnette, en décembre 1851, la ville connaît un mouvement de résistance au coup d’État du 2 décembre de Napoléon III. Quoique minoritaire dans la ville, le mouvement se déclenche le dimanche 7 décembre, le lendemain de l’arrivée de la nouvelle. Les autorités sont arrêtées, et les gendarmes désarmés : tous sont conduits à la maison d’arrêt. Un comité de salut public est constitué le 8. Le 9, les habitants de Jausiers et des environs forment une colonne, sous la direction du conseiller général Brès et du maire de Saint-Paul, Signoret. Celle-ci s’arrête cependant le 10 avant d’atteindre Barcelonnette, le curé de la sous-préfecture s’étant commis comme négociateur. Le 11, plusieurs fonctionnaires s’évadent et trouvent refuge à Largentière, au Piémont. L’arrivée de troupes le 16 décembre met fin à la résistance républicaine sans effusion de sang. Cinquante-sept insurgés sont jugés : il y a 38 condamnations à la déportation (mais de nombreux condamnés ont été graciés en avril).
La vie sur place :
Les jeunes partaient à cheval pour Digne, leur valise en croupe; ensuite en diligence jusqu’à Bordeaux en passant par Avignon et Toulouse, puis prenaient le premier bateau en partance: en 2me classe c’était 400 francs, en 3me classe 300 francs et il fallait entre 50 jours à 3 mois pour arriver à Veracruz.
A l’arrivée, achat d’une marmite, d’une gamelle et d’une couverture, puis contact avec des muletiers pour servir de guide jusqu’à Mexico. Départ 5 heures du matin, marche jusqu’à 10 heures du soir, arrêt près des sources, coucher à la belle étoile et enfin arrivée après une vingtaine de jours de marche dans les « bras » des « pays » qui donnent le vivre et le logement pendant les 6 premiers mois et quelques piastres ensuite.
Les magasins des « Barcelonnettes », même ceux où il se brassait des millions n’étaient pas luxueux: une enseigne en toile en haut au dessus de 3 à 5 grandes bées, toutes ouvertes sans vitrine ni étalage, fermées le soir par des portes massives en bois doublées de fer et solidement maintenues par une poutre. Le magasin est divisé en 2 parties: les employés derrière un comptoir, les derniers arrivés balayant, déballant, faisant les travaux les plus pénibles et couchant la nuit sur le comptoir.
Ils vendaient et recevaient l’argent qu’ils remettaient le soir au patron ou au caissier. Pas de livre de caisse, pas de contrôle. Derrière les étagères se trouvait l’arrière magasin et la salle à manger où le patron et amis prenaient leurs repas; le soir tous ensemble; placés à 3 ou 4 dans une chambre ils couchaient à tour de rôle sur le comptoir.
Le dimanche matin, déballage; tous doivent être rentrés au plus tard à 10 heures. Pas de fréquentation de la socièté mexicaine, pas de mariage pour les commis. Ils vivaient entre « pays » le plus simplement et le plus économiquement possible. Même fortune faite, ne sortant jamais, ni restaurant, une vie de travail forcé et d’économie soutenue pour revenir au pays. Ceux qui se fixaient à l’intérieur avaient une vie plus mouvementée et dangereuse à cause des fréquentes révolutions (prononciamento). « Qui passe pour riche est perdu« .
L’expension 1870-1890 :
Sous la longue présidence de Porfirio Diaz (1876-1911) qui favorise largement les investissements étrangers et manifeste « une volonté démesurée pour la France » (Patrice Gouy), les Barcelonnettes contrôlent maintenant le secteur de l’industrie textile et de sa distribution dans tout le Mexique. Les entrepreneurs barcelonnettes deviennent « l’interlocuteur préférentiel du gouvernement mexicain » (Jean Meyer), et prennent une part active à l’industrialisation et à la modernisation du pays.
Les premiers commerces de tissus, « cajones de ropa », sont alignés les uns sur les autres. Au nombre de 46 en 1846 (dont 20 magasins pour le seul district fédéral de Mexico), ils représentent plus de 110 établissements 40 ans plus tard, en 1886, implantés dans les principaux centres urbains : à Puebla, à Morélia, à Guadalajara, à Durango, à Tampico, etc.
Profitant de l’intervention française et de l’empire instauré au Mexique par Napoléon III, la colonie barcelonnette se développe. Les voici bientôt à la tête d’un colossal empire. Il n’est pas de secteur qui échappe à la mainmise de ces clans opiniâtres de Tron, d’Ollivier ou autres Reynaud… Elle évince Anglais et Allemands qui détenaient le commerce en gros mais surtout étend son réseau de distribution dans tout le pays, grâce à un astucieux système entretenu par l’afflux incessant de main d’œuvre provenant de la vallée de Barcelonnette.
C’est à leur réussite que l’on doit, en plein coeur de Mexico, l’édification, en 1891, d’un premier magasin de nouveautés baptisé « El palacio de hierro » (Le Palais de fer) qui ouvrira la voie à de nombreuses et séduisantes architectures métalliques fidèlement copiées sur les modèles Parisiens. « L’exemple de Paris se trouvait au cœur de Mexico » (François Arnaud). Chaque métropole verra se multiplier le nombre de ces grands magasins dont le nom évoque tantôt celui des grandes capitales Européennes (La Ciudad de Paris, La Ciudad de Londres….), tantôt celui des grands ports (El Puerto de Liverpool, El Puerto de Veracruz…).
Les Barcelonnettes étaient en train de réussir l’alliance de l’art et de l’industrie.
Dessinés par des architectes français, de nouveaux établissements copiés sur les modèles parisiens du Bon Marché et de la Samaritaine adoptent tous «une écriture on ne peut plus post-haussmannienne de dômes et de grands combles cintrés dont la protubérance accentue la majesté des volumes, silhouettés à chaque carrefour» (François Loyer). Le maître verrier nancéen Jacques Gruber signe les imposantes verrières des grands magasins El Palacio de Hierro (1891) et du Centro Mercantil (1896), aujourd’hui transformé en grand Hôtel.
L’age d’or 1890-1914 :
Toujours sous l’œil bienveillant de Porfirio Díaz, vieux dictateur progressive et francophile, surgissent du sol mexicain les plus grandes filatures du monde (Orizaba emploie 15000 ouvriers en 1910) et parmi les plus beaux magasins (Palacio de Hierro, Ciudad de Londres…). En 1911, la colonie détient 50% des investissements étrangers dans l’industrie mexicaine.
Soucieux de maîtriser aussi la production, les négociants barcelonnettes fondent d’importantes compagnies industrielles à la tête de nombreuses fabriques de la filature, tissage et impression du coton, dont les plus importantes sont implantées dans la vallée de Rio Balanco. D’une politique commerciale, ils passent peu à peu à une politique industrielle et ouvrent l’ère des grandes compagnies industrielles (la compagnie d’Orizaba qui emploie 10 000 ouvriers, la fabrique de Rio Blanco, la compagnie industrielle de Veracruzana…).
En 1900, 5000 familles de ressortissants français sont recensées à Mexico.
Un groupe de «Barcelonnettes» achète la banque «Londres, Mexico, et Amérique du Sud » qui avait le privilège de l’émission des billets pour tout le Mexique. Les Barcelonnettes mettent aussi en place de solides structures financières et prennent part active dans la direction des Banques nationale de Mexico et centrale du Mexique, apposant ainsi leur signature au bas des billets de banque !
Mais la révolution mexicaine gronde (1913-1920).
Cette étonnante réussite économique ne saurait masquer la dure réalité quotidienne d’une grande partie des émigrants, employés et ouvriers. Les tout premiers mouvements de contestation éclatent en janvier 1907, à l’intérieur de la fabrique de Rio Blanco fondée par les barcelonnettes. Sept ans plus tard, à l’aube du premier conflit mondial, les barcelonnettes se mobilisent et se portent volontaires. A leur côté des mexicains aussi tomberont pour la France.
De nombreux « Américains », comme on les appelle ici, revenus au pays entre 1870 et 1930, fortune faite, firent construire ces luxueuses villas de style colonial qui donnent un cachet si particulier à Barcelonnette.
L’entre-deux guerres : Le déclin
L’émigration reprend dans les années 30 puis ralentit petit à petit.
Marquée simultanément par l’autoritarisme mexicain et le déclin de l’empire industriel et financier de la colonie Barcelonnette, la période de l’entre-deux-guerres amorce dans la vallée de l’Ubaye la fin du « rêve mexicain ». Ainsi entre 1850 et 1950, 6000 à 7000 habitants de l’Ubaye ont quitté leur pays pour le Mexique (et quelques dizaines pour l’Argentine) avec l’espoir de faire fortune. 4 à 5 cents familles sont retournées au pays. Adressées aux familles, les lettres du Mexique avaient pourtant, très tôt, les appels à la prudence : « …si parmi eux il y a 4 ou 5 qui réussissent après une trentaine d’années de dure servitude à économiser quelques piastres pour aller finir leurs jours au pays natal, les crois-tu bien heureux lorsqu’ils reviennent au village avec les cheveux blancs, ils sont presque étrangers au pays (…). La vie de cultivateur est beaucoup préférable à celle d’employé que nous menons ici « . (Auguste F. 1902).
Des années 50 à nos jours :
Les années post-révolution mexicaine marquent une rupture et modifient les règles alors favorables aux investisseurs étrangers : lois sur la restriction de l’émigration, limitation du personnel étranger etc. Une dernière vague d’émigrants rejoint le Mexique dans les années 1950, ils ne sont plus qu’une dizaine dans les années 1960. Les barcelonnettes sont de plus en plus intégrés et les retours définitifs dans la Vallée deviennent de plus en plus rares.
On peut constater qu’il n’y a pas une seule famille de la vallée qui n’ait eu ou n’ait toujours des parents là bas.
En 1961 la station de ski de Pra Loup voit le jour, grâce à une forte participation de capitaux venus du Mexique. Des sommes importantes seront investies dans la construction de caveaux immenses et luxueux (cimetières de Barcelonnette, Jausiers, Tournoux, St Paul).
Par des dons et legs certains donneront une partie de leur fortune: nouvelle église à Barcelonnette inaugurée en 1928, l’hôpital de Barcelonnette par la générosité de Jules Béraud qui fit construire aussi l’hôtel de ville, inauguré en 1934, remise en état de l’église de St Paul par un don important d’Hippolyte Signoret après le tremblement de terre en 1959, le presbytère de Barcelonnette par Antoine Signoret et Maximin Michel inauguré le 27 octobre 1968, la magnifique villa « La Sapinière » achetée par la famille Signoret à Alexandre Reynaud léguée à la ville de Barcelonnette en 1973, l’agrandissement et la rénovation de l’hôpital de Jausiers.
Au Mexique les « Barcelonnettes » sont plus nombreux que ceux qui vivent en Ubaye. Les plus grandes affaires industrielles ont été vendues ou ont disparues ; reste une fabrique de draps de laine aux mains des « Barcelonnettes » celle de Soria; elle est dirigée par Robert Martel originaire de Barcelonnette.
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http://j.mezin.free.fr/mexique.html
http://ubaye-en-cartes.e-monsite.com/rubrique,le-mexique,1042379.html
http://fr.wikipedia.org/wiki/CIECM
http://www.netprovence.com/tourisme/departement/04/ubaye/epopeebarcelo.htm
http://www.revemexicain.com/barcelonnettes_mexique.php
http://pagnol83300.free.fr/barcelo02/Les%20Barcelonnettes%20au%20Mexique.htm
http://www.regionpaca.fr/index.php?id=7858
http://www.barcelonnette.net/fr/il4-3_p50-barcelonnette-et-le-mexique.aspx
http://www.azteca-hotel.fr/histoire.html
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