L’aventure, c’est se résoudre à l’inconnu, donc au risque. L’aventure, c’est la volonté de se sentir responsable, c’est à dire de n’incriminer personne pour les souffrances, dommages, préjudices que l’on pourrait éventuellement subir. L’aventure, c’est être actif et non passif, souverain de sa vie et non sujet implorant du maître tout-puissant que serait « la société ». (…)
Nous devons réfléchir à ce que signifie l’entrée dans une société de victimisation généralisée. L’innovation sera-t-elle encore possible, dès lors que toute activité nouvelle comporte, par définition, des risques impossibles à évaluer ? (…)
On comprend mieux pourquoi les pratiquants d’activités dangereuses sont repoussées vers les extrêmes : c’est qu’ils sont bannis de la société.
Le rêve d’un monde sans risques est-il autre chose qu’un cauchemar ? Je ne le crois pas. Pour deux raisons principales.
La première est que le risque est aussi un besoin. Les jeunes à qui on l’interdit le réinventent autrement. (…) Faute de pouvoir investir leur besoin de risque dans des activités licites, les jeunes se replient sur ces ersatz misérables de l’esprit d’aventure que sont les comportements autodestructeurs.
L’autre effet du cauchemar, c’est l’immobilisme, la haine de l’innovation. Une société victimaire est une société en régression ou, à tout le moins, en stagnation.
Alors, accepter le principe de précaution, oui, mais à condition de l’équilibrer toujours et partout par … l’esprit d’aventure. On voit que cette notion n’est en rien réservée aux forêts tropicales ou à la haute atmosphère ; elle est utile et nécessaire au coeur de nos société. Défendre l’idée du risque volontaire, conscient, maîtrisé, plaider pour que la recherche, l’innovation, la découverte soient partout privilégiées, préserver la liberté que représentent les activités sportives audacieuses pour offrir à la jeunesse un autre champ d’action que l’autodestruction, sont des nécessités absolues.
La dignité de l’être humain est de ne pas se soumettre à des forces qui dépassent et l’oppriment. Ces forces, jadis, étaient celles de la nature : la pesanteur, la maladie, la rareté des choses. Aujourd’hui, c’est la tyrannie du droit, la pession de la société, avec la terrible bonne conscience des régimes démocratiques.
L’esprit d’aventure, c’est la grande cause de l’humain. Ici et aujourd’hui.
Jean-Christophe Rufin, L’Aventure pour quoi faire ?
(Points – Aventure, Avril 2013, p61)
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