Les choses deviennent plus intimes. La peur qui vous habite n’est pas principalement physique. Oh oui, bien sûr, j’ai eu souvent la trouille de prendre une balle perdue ou un éclat d’obus dans la colonne vertébrale. Mais j’ai surtout (presque toujours !) eu peur de ne pas comprendre la situation et la culture de « l’autre » ; pas assez en tout cas pour le rencontrer vraiment.
Et si, par chance, j’arrivais à le « rencontrer » pour de bon, si je parvenais à entrer dans sa vision du monde, à approcher « les vérités » qui le constituent, qu’est-ce que cela risquait de changer à l’intérieur de moi-même ? Je reprends une formule de l’évêque d’Oran, Pierre Claverie, assassiné par des islamistes en 1996, après une vie consacrée à un riche dialogue avec l’islam : « Le vrai dialogue n’est possible que si j’accepte préalablement l’idée que l’autre est peut-être porteur d’une vérité qui me manque. » Cette vérité, à coup sûr, viendra forcément chavirer mes certitudes. L’aventure, s’est la mise en danger de nos tréfonds. Là réside bien le vrai et magnifique risque : consentir par avance à rejouer sa vision du monde. Accepter de mettre sur la table la configuration de nos « opinions » sur le monde et la vie. Diable ! On comprend pourquoi, de loin en loin, des paniques bizarres me saisissaient.
Jean-Claude Guillebaud, L’Aventure pour quoi faire ?
(Points – Aventure, Avril 2013, p23)
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